Et nous voilà au cinquième jour du procès !
Cette journée bien remplie a été très riche. Nous avions entendu beaucoup de choses à propos de l'entreprise PIP ... mais nous étions très très loin de la réalité, j'ai eu l'impression d'être sur une autre planète aujourd'hui lors des auditions des 3 ex-employés de cette société.
Mais tout d'abord, c'est au tour de Jean Claude Ghislain, directeur de l'évaluation des dispositifs médicaux de l'AFSSAPS au moment des faits, d'être entendu.
Rappel des missions de l'AFSSAPS, devenue ANSM :
- Rôle de vigilance, basée sur les déclarations obligatoires des évènements indésirables liés aux produits de santé.
- Contrôle des produits mis sur le marché, c'est à dire, évaluation des dossiers, contrôles d'échantillons en laboratoire (très rares) et inspections chez les fabricants (suite aux alertes essentiellement). Mais n'intervient pas pour les mises sur le marché.
L'agence réagit suite à des "alertes". Ce processus détecte facilement les évènements rares non attendus, mais reste difficile à interpréter en cas d'évènements attendus (comme les ruptures de prothèses).
Le gros soucis de l'agence est la sous-déclaration des incidents
par les professionnels de santé.
Cette sous-déclaration s'explique par une formation insuffisante des professionnels de santé sur la vigilance .
L'absence de registre constitue aussi un handicap pour la surveillance des dispositifs médicaux.
Dans le cas des prothèses PIP, des signalements de chirurgiens sont les premiers signaux fin 2008 analysés au cours de l'été 2009. Une enquête est ouverte et les dirigeants de PIP sont convoqués en décembre 2009 à l'agence pour s'expliquer. Jean Claude Mas, Hannelaure Font et Thierry Brinon doivent fournir des explications sur les ruptures précoces.
L'agence n'est pas satisfaite des données renvoyées et diligente une inspection sur le site du 16 au 18 mars 2010. La fraude est découverte.
L'agence communique avec ses homologues européens et les pays concernés. des tests sont entrepris sur les échantillons prélevés.
Jean Claude Ghislain confirme le caractère dangereux des prothèses PIP du fait des réinterventions précoces, de leurs conséquences et complications éventuelles. De plus, elles conduisent souvent à des imperfections esthétiques.
D'autres part, les fuites de silicone provoque des siliconomes, difficiles à traiter et qui induisent des problèmes de santé durables.
L'Europe, suite à cette crise sanitaire, étudie une nouvelle réglementation concernant la mise sur le marché, la surveillance et le contrôle des dispositifs médicaux.
Second témoin entendu ce jour, Malika Bouzian, chef de projet recherche et développement chez PIP.
Cette jeune femme a travaillé 8 ans dans la société, elle est compétente en biocompatibilité. Elle travaillait au développement d'une nouvelle gamme, (nouvelles formes, nouveaux profils).
Jean Claude Mas lui aurait demandé de trouver dans les archives de PIP, les tests de biocompatibilité fait sur le gel PIP. Elle n'en a trouvé que sur l'hydrogel.
Selon cette ex-employée, les commerciaux, surnommées les "pleureuses", font remonter le mécontentement des chirurgiens en 2007. Une importante progression de ruptures est constatée. Elle ne soupçonne à aucun moment le gel, qu'elle sait non conforme, mais l'enveloppe texturée de certaines prothèses. Hannelaure Font lui affirmait qu'il n'y avait aucun problème avec le gel PIP utilisé depuis 15 ans. Le gel PIP devait être remplacé petit à petit par du nusil. Des projets d'amélioration de l'enveloppe sont lancés de janvier à juin 2008.
Le procureur lui demande d'expliquer les relations
entre son service et les autres,
qui prenait les décisions ?
Le responsable R et D et le responsable technique lui disait sur quoi travailler. Un projet concernait le maintien ou non de la couche barrière et le développement d'une nouvelle gamme. Jean Claude Mas souhaitait qu'elle développe un projet sur l'hydrogel et le comblement de rides.
Faute d'argent, elle mentait à Mas sur l'avancement de ce projet, elle travaillait "avec les moyens du bord".
Les projets R et D de l'entreprise étaient contestés. Jean Claude Mas supprime la couche barrière à la suite d'une réunion, Thierry Brinon est furieux.
Lorsque le TÜV s'annonçait, l'important pour elle, était de valider les procès verbaux et les procédures en retard.
Lorsque Thierry Brinon et Hannelaure Font se rendent à Paris dans les locaux de l'AFFSAPS pour s'expliquer en décembre 2009, une nouvelle commande de gel PIP est passée, Malika demande à être licenciée, ce licenciement lui est refusé.
Lorsque la présidente lui demande si elle a pensé à dénoncer ce qu'elle savait, elle répond que non. En stage, elle a côtoyé d'autres personnes qui lui disaient qu'il y avait également des soucis de qualité dans leur entreprise !
L'après-midi débute par la lecture de quelques passages du rapport de l'AFSSAPS par la présidente du tribunal.
Puis, Michaël Guyot, gendarme, ayant dirigé l'enquête à la demande du procureur en mars 2010, comparait en visio-conférence. Il est à Saint Martin depuis 18 mois. Il a dirigé cette enquête jusqu'en avril 2011.
Il explique le rôle du pôle santé publique et précise que le personnel était composé de 7 enquêteurs formés et sensibilisés.
Le 24 mars 2010, il perquisitionne l'entreprise PIP avec Thierry Sirdey de l'agence. Les ordinateurs ne sont pas saisis pour ne pas priver l'entreprise de ses outils de travail.
Plus tard, suite à l'occupation de l'usine par les ouvriers de PIP,
ce matériel aura été détruit.
Des échantillons de prothèses sont saisis pour analyse. Mais la traçabilité ne pourra être formellement établie, les déclarations des employés divergent sur l'éventualité de l'existence de "bonnes prothèses".
Vient ensuite se présenter à la barre, le Docteur Jean Claude Archambault, psychiatre.
Il nous expose le "préjudice d'anxiété" retenu le 11 mai 2011 par la cour de cassation dans l'affaire de l'amiante.
Ce préjudice est défini par une attente dans l'appréhension, donnant des signes et des symptômes divers, plus ou moins marqués selon les victimes.
Il pourrait nous être appliqué du fait de l'incertitude
des conséquences de ce gel sur nos organismes.
De plus, selon ce médecin, les femmes explantées et pas réimplantées ou ne pouvant être explantées faute de moyens financiers se trouvent dans une impasse.
Les Victimes de cette fraude ne sont pas fragiles
plus que d'autres avant ce porter ces prothèses frauduleuses !
Hervé Dessoliers, informaticien se présente ensuite.
Sous traitant en 1999-2000, puis à mi-temps, il intègre PIP et devient responsable du service informatique.
Il développe des logiciels pour la traçabilité et l'inventaire des produits finis, des bons de livraison et de commande, les stocks et la comptabilité. Il était sous les responsabilité hiérarchique de Claude Couty.
Il a appris tard, vers 2009, l'existence de 2 gels.
Lors des visites du TÜV, il décrit une certaine tension dans l'entreprise, "c'était un évènement important".
Son service était audité sur les procédures de sauvegarde, la traçabilité et les tests.
Claude Couty et les services concernés lui demandaient de supprimer 2 fournisseurs indésirables de la base. Son prédécesseur lui avait expliqué que les fournisseurs autres que nusil ne devaient pas apparaître. La comptabilité n'était pas modifiée car non contrôlée par le TÜV !
Le lien entre les matières premières et les produits finis est impossible.
Personne ne lui a demandé, lors de la perquisition de mars 2010 de sortir les lots conformes.
Claude Couty lui a proposé d'être cadre dirigeant ... ce qui diluait les responsabilités de ce dernier, il refusé.
Il n'en est pas fier, mais il a continué à basculer les lignes informatiques après avoir eu connaissance de l'existence des 2 gels.
Vient le tour de Vincent Poirier, technicien qualité, diplômé d'un BTS de chimie.
Il intègre PIP en 1998, premier vrai emploi comme contrôleur qualité, il est responsable de la salle blanche. (fabrication des prothèses).
En 2000, il est promu responsable du contrôle qualité à la place de Loïc Gossart qui part au service méthode. Il est sous la responsabilité de Mr Burel puis d'Hannelaure Font.
Il gère le personnel de la salle blanche, contrôle les expéditions, la gestion des marchandises. Il procède aux essais mécaniques sur les prothèses et sur le gel.
Il connaissait l'existence du dossier "CE" et savait que ce n'était pas les bons produits.
Il affirme que certaines prothèses contenaient le bon gel, les reconstructions, les micro-texturées et que les texturées contenaient du gel PIP. Il prétend être capable de reconnaître les différentes prothèses.
Il était prévu de passer étape par étape du gel PIP au gel nusil.
3 à 4 ans avant 2010, les commerciaux France, faisaient état d'un nombre important de problèmes, avec des complications différentes selon les TX et les MX. Pour lui, aucun doute, le gel était en cause.
Jean Claude Mas réfutait et disait "La France on s'en fout, ne représente que 10% du marché, ne représente rien" . Il était plus intéressé par le Vénézuela et la Colombie.
"Dès que l'audit de TÜV Rheinland était annoncé, les fûts de remplissage Brentag disparaissaient, ne restaient que les nusil. Le service production donnait des ordres, c'était la même routine chaque année. Sur la base informatique de suivi des lots, certains disparaissaient ! Le TÜV ne pouvait rien voir, puisqu'il ne consultait pas la comptabilité"
Selon divers témoignages, la production pouvait différer, une grande variabilité du gel était constatée en fin de production, conséquence d'une fabrication mal maîtrisée.
Il affirme s'être "battu" avec les autres cadres pour revenir au nusil, mais il savait depuis le début et n'a rien fait.
Triste constat que le fonctionnement de cette entreprise ...
De jeunes cadres, sans expérience professionnelle antérieure, promus à des postes de responsabilités, au courant de cette fraude ... pas réellement conscients pour certains de frauder ... savaient que le gel n'était pas homologué, mais s'en arrangeaient.
Ils sont assez désinvoltes et présentent cette tromperie comme une "culture d'entreprise" parfaitement rodée, se rejetant la responsabilité d'un service à l'autre.
Quant à la direction "bicéphale" de cette société, un illuminé et un financier, poursuivant chacun des objectifs différents et revendiquant la direction et les décisions.
Pourquoi cette escroquerie a-t-elle duré si longtemps ?
A cause d'un dirigeant présenté comme un dictateur, mais absent la moitié de l'année, ce qui laissait le temps de changer les choses. Mais chacun s'est laissé aller à sa routine, attendant le passage au tout nusil comme des enfants attendent le passage du père Noël !
Tous plus incapables les uns que les autres de prendre ses responsabilités, de partir ou de dénoncer, de s'opposer ou de changer ... Constat affligeant !
La fin d'après-midi , marqué par le témoignage de 2 Victimes et de leur président d'association, l'APIM, a changé l'ambiance du tribunal.
Pas un mot, pas un bruit lors de la prise de parole de ces 2 femmes mesdames Michelini et Terrier, dignes pendant l'exposition de leurs parcours et de leurs souffrances infligées par ces prothèses frauduleuses. Toutes deux ayant subi une reconstruction après un cancer du sein.
L'une ayant subi 12 interventions, l'autre souffrant de douleurs inexplicables et invalidantes au point de ne plus pouvoir travailler, s'atténuant, comme par miracle, après l'explantation de sa prothèse PIP.
D'autres Victimes devraient témoigner jeudi et vendredi.
Comment les avocats de la défense vont ils pouvoir continuer à plaider la relaxe de leurs clients et nier le caractère dangereux de ces prothèses ?
Article écrit par Victime de prothèses PIP