Suite au scandale des prothèses frauduleuses PIP, le Sénat avait mis en place une mission d'information portant sur les dispositifs médicaux implantables. Cette mission a élargi ses travaux aux interventions de médecine esthétiques. (ici)
Je vous avait déjà parlé de cette mission d'information. (ici)
Le 5 juin dernier, des premières conclusions étaient rendues publiques. (ici)
Ce matin, cette commission a rendu son rapport définitif
Santé, beauté, une priorité : la sécurité. (ici)
Dans ce rapport, les sénateurs s'interrogent : comment l'affaire PIP a-t-elle pu avoir lieu ?, quels manques ? et surtout pourquoi les signaux d'alerte n'ont-ils pas été pris en compte ?
Les nombreuses auditions (ici) ont permis de faire un état des lieux et à chacun dans son domaine de compétence de faire des propositions pour éviter qu'une telle affaire ne se reproduise.
Actuellement, voici le circuit de mise sur le marché des dispositifs médicaux en Europe.
Plusieurs problèmes sont soulevés :
- Le fabricant choisi lui même son organisme certificateur
- Il peut choisir la procédure de certification :
La première procédure, dite "examen CE de type" (annexe III de la directive de 1993), repose sur l'examen d'un produit type, sur la base d'un échantillon représentatif de la production. L'organisme notifié procède aux examens et essais appropriés afin de vérifier la conformité du produit aux exigences de la directive. L'organisme notifié examine également la société, son système de contrôle qualité ainsi que les conditions de fabrication du produit. Au cours de la première phase du contrôle, qui porte donc sur le produit en tant que tel, un échantillon est prélevé et vérifié en laboratoire.
La seconde procédure, dite de "déclaration CE de conformité" (annexe II de la directive de 1993, point 4 "Examen de la conception du produit"), le producteur livre la documentation de conception du dispositif médical. Il dépose une présentation d'examen de dossier, où il explique le système de contrôle qualité qu'il souhaite introduire, puis fournit une documentation complète relative au produit, aux conditions de la production et aux matériaux de base utilisés. Enfin, un audit du système de qualité est réalisé de manière périodique. En ce cas, le producteur n'a pas à subir de prélèvement sur son produit et c'est lui qui est chargé de procéder aux contrôles qualité en vue d'en présenter les résultats à l'organisme de certification, qui les vérifie. Dans le cadre de cette procédure, il appartient toutefois à l'organisme notifié d'examiner le système de gestion de la qualité, en s'assurant que la société en question est en mesure de procéder aux différents contrôles nécessaires.
PIP avait choisit la seconde procédure. Lors de son audition, l'organisme notifié allemand TÜV Rheinland a indiqué procéder, au moins une fois par an, à un audit du fabricant, au cours duquel elle vérifie le système de contrôle qualité après sa certification. Tous les cinq ans, elle effectue un nouveau contrôle du produit. Celui-ci peut également être diligenté en cas d'incidents remettant en question la recertification du produit.
- Les organismes de certifications ne sont pas tous équivalents et pas tous contrôlés de la même façon selon leur pays d'origine.
- L'absence de registre en France est un obstacle à la traçabilité et à la surveillance des dispositifs médicaux.
- Les actes de chirurgie esthétiques sont clairement définis et parfaitement encadrés, les établissements où sont pratiqués ces actes soumis à contrôles et autorisations.
- Il n'en est pas de même pour les actes de médecine esthétique qui sont en perpétuelle évolution.
La mission recommande d'agir dans deux directions, qui recoupent
le champ de ses investigations :
- Renforcer strictement les contrôles effectués sur les dispositifs médicaux implantables dès leur mise sur le marché et durant toute leur durée d'utilisation, afin de restaurer la confiance que les scandales sanitaires qui se sont succédé ces dernières années ont commencé à éroder ;
- Reconnaître que le développement rapide qu'ont connu les interventions à visée esthétique, aussi bien par le nombre de personnes concernées que les techniques proposées, constitue une problématique majeure en matière de santé publique. Dans ce contexte, l'absence d'encadrement réglementaire devrait inévitablement aggraver la situation dans un futur proche.
38 propositions sont ensuite faites par la mission :
Proposition n° 1 :
Mettre au point un cahier des charges commun à tous les organismes notifiés
Proposition n° 2 :
Multiplier les contrôles inopinés chez les fabricants
Proposition n° 3 :
Doter le N-Bog d'un statut légal dans la réglementation européenne et lui confier la mission d'harmoniser les modalités de surveillance des organismes notifiés
Proposition n° 4 :
Étendre l'obligation d'information des organismes notifiés aux observations de non-conformité majeures
Proposition n° 5 :
Généraliser les inspections communes des organismes notifiés par les autorités sanitaires de plusieurs pays européens
Proposition n° 6 :
Rendre publics les flux financiers et les liens d'intérêts entre fabricants de dispositifs médicaux et bénéficiaires de ces avantages
Proposition n° 7 :
Mutualiser les sommes allouées par l'industrie des produits de santé aux étudiants dans le cadre des conventions d'hospitalité
Proposition n° 8 :
Inciter la Commission, dans le cadre de la refonte des directives, à prendre pleinement en compte les exigences de sécurité des dispositifs médicaux
Proposition n° 9 :
Créer une liste positive des dispositifs médicaux les plus risqués au niveau européen
Proposition n° 10 :
Interdire l'ensemble des CMR de catégorie 2 dans les dispositifs médicaux destinés aux nourrissons, jeunes enfants et femmes enceintes
Proposition n° 11 :
Publier rapidement les textes d'application de la loi "Médicament" relatifs aux dispositifs médicaux
Proposition n° 12 :
Mettre en place un groupe de travail chargé de simplifier la procédure de signalement des incidents de matériovigilance
Proposition n° 13 :
Mieux associer les déclarants aux suites données aux déclarations de matériovigilance
Proposition n° 14 :
Mener une campagne d'information commune, avec le Cnom, sur les enjeux de la matériovigilance
Proposition n° 15 :
Faire du renforcement de la matériovigilance l'un des points centraux du prochain contrat d'objectifs et de performance Etat-ANSM
Proposition n° 16 :
Accélérer la mise en oeuvre de l'UDI au sein de l'Union européenne
Proposition n° 17 :
Élargir l'accès à Eudamed aux organismes notifiés et, à terme, au moins partiellement au public
Proposition n° 18 :
Rendre obligatoire, sous certaines conditions, le renseignement des registres par les médecins
Proposition n° 19 :
Mettre en place un codage plus fin dans le PMSI afin de mesurer précisément l'usage des DMI à l'hôpital
Proposition n° 20 :
Limiter "l'effet domino" en définissant plus précisément l'équivalence pouvant être acceptée entre deux dispositifs médicaux pour satisfaire à l'obligation d'évaluation clinique
Proposition n° 21 :
Imposer que le dispositif médical auquel un nouveau produit est présenté comme équivalent ait lui-même fait l'objet d'investigations cliniques
Proposition n° 22 :
Enrichir le contenu du site internet de l'ANSM et assurer la publication rapide des comptes rendus de ses commissions et organes de travail internes
Proposition n° 23 :
Envisager la création d'un site d'information public sur les dispositifs médicaux
Proposition n° 24 :
Instituer un marquage CE spécifique aux dispositifs et produits esthétiques afin de garantir leur innocuité
Proposition n° 25 :
Mettre en ligne l'ensemble des informations sur le rapport bénéfices-risques des produits et dispositifs à finalité exclusivement esthétique
Proposition n° 26 :
Rendre publiques toutes les informations sur le rapport bénéfices-risques des interventions esthétiques
Proposition n° 27 :
Établir une liste des matières premières, des substances et des composants autorisés pour la fabrication de produits et de dispositifs à visée esthétique
Proposition n° 28 :
Fixer par décret la liste des interventions à visée esthétique ne pouvant être exécutées que par des médecins dûment qualifiés
Proposition n° 29 :
Encadrer strictement le recours par les esthéticiennes à certains dispositifs à visée esthétique
Proposition n° 30 :
Interdire les cabines de bronzage hors usage médical pour éviter un futur scandale sanitaire
Proposition n° 31 :
Définir le contenu d'un DESC de médecine morpho-esthétique et de traitement des effets du vieillissement
Proposition n° 32 :
Créer un registre qualité des médecins pratiquant des actes à visée esthétique
Proposition n° 33 :
Encadrer les centres et cabinets médicaux spécialisés dans les interventions à visée esthétique
Proposition n° 34 :
Imposer aux médecins de communiquer au registre du Cnom l'ensemble des informations relatives aux qualifications et aux compétences d'exécution transférées à leurs assistants
Proposition n° 35 :
N'autoriser la participation des assistants à l'exécution d'un acte à visée esthétique que sous la supervision du médecin responsable
Proposition n° 36 :
Confier à l'ANSM une compétence de police sanitaire sur l'ensemble des produits et dispositifs à finalité exclusivement esthétique
Proposition n° 37 :
Confier à l'ANSM le soin de centraliser tous les signalements relatifs aux effets indésirables ou incidents consécutifs à une intervention à visée esthétique
Proposition n° 38 :
Mettre en place un carnet de suivi des interventions à visée esthétique
Un grand merci aux sénateurs pour le travail énorme fourni, l'analyse de l'existant et les propositions faites dans ce rapport.
Un grand merci également pour la prise en compte des victimes et ce qu'elles endurent :
"Le temps des études scientifiques, comme celui de la justice, n'est pas compatible avec le ressenti de femmes qui souffrent quotidiennement. A ce titre, elles méritent la considération de l'ensemble de la communauté nationale".
Toutes ces propositions sont excellentes, mais seront-elles suivies d'effets et surtout mises en oeuvre facilement chez nous ?
Pas certain du tout
Il existe de très nombreux lobbies qui feront pression, à commencer par les laboratoires, les organismes certificateurs et les professionnels de santé (chirurgiens et médecins).
Harmoniser les procédures européennes voire mondiales est une belle utopie quand on se réfère aux difficultés existantes dans d'autres domaines économiques, politiques, ...
La mise en place des registres et du carnet de suivi sont loin d'être acquises, la culture de nos praticiens ne s'y prête pas encore.
La seule définition des actes de médecine esthétique est une affaire loin d'être réglée, trop d'enjeux financiers sont en cause.
Revoir les compétences et les certifications des praticiens habilités à exercer tel ou tel acte prendra du temps avant que tous se mettent d'accord.
Un article à lire (ici)
En conclusion, malgré les travaux très approfondis de cette mission d'information, les propositions très concrètes qu'elle préconise, je crains que rien ne change vraiment avant plusieurs années.
Article écrit pat Victime de prothèses PIP